La Cinémathèque québécoise

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Anciens périodiques

13. Évolution des thématiques dans ce contexte idéologique

Pour mesurer davantage l’influence respective des trois revues dont nous venons de parler, référons-nous au contenu des films de notre troisième période. À l’image de l’évolution du Québec, ceux-ci reflètent la montée des mouvements de contestation, le renforcissement des refus et le dynamisme de la Révolution tranquille, l’éclatement des mutations. Ils seront donc tributaires de cette double appartenance, émargeant tantôt de l’idéologie de contestation et de rattrapage, tantôt de l’idéologie de développement et de participation.

Il y a des thèmes qui s’éteignent: le folklore et le coopératisme. Dans le cas du premier, c’est parce qu’il est trop marqué par le traditionalisme. Dans le deuxième cas, bien qu’on admette que le coopératisme a joué un rôle transitoire entre l’entreprise et la société tradi­tionnelles et celles qui commencent à s’affirmer à partir de 1960, on préfère remplacer son ex-dimension contestataire par un mouvement de développement différent, le plus sou­vent technocratique, parfois participationniste 1.

Le thème syndical s’efface également et devient plus modéré sauf dans le cas très important des 90 JOURS, une contestation à fond de train du duplessisme. Le thème agricole, quant à lui, évolue sous le signe du rattrapage et de la contestation: on dénonce la mythologie agriculturiste et on se prononce pour la modernisation de l’agriculture et pour son adapta­tion au contexte économique déterminé par les exigences urbaines.

L’évolution du thème industriel est beaucoup plus marquée. On ouvre d’abord la porte à la nouvelle petite bourgeoisie 2. On affirme aussi la nécessité de la conversion indus­trielle de l’entreprise québécoise au profit de la grande entreprise. On va parfois jusqu’à indiquer son souhait d’une intervention plus grande de l’État pour faciliter le développe­ment économique et industriel du Québec; on peut voir là des bribes d’idéologie partici­pative dans la mesure où la population, par le biais de l’État, peut participer à la gestion de la vie économique. En fait ces quelques velléités trouvent écho dans des options simi­laires au thème agriculture, sauf que ce domaine recèle depuis longtemps déjà des traces d’intervention étatique. Pour reprendre les expressions de Dion, on peut dire que les films industriels témoignent d’un nationalisme parfois libéral, parfois, presque, social-démocrate.

Le thème sur lequel l’évolution est moins marquée est celui de la femme. La quantité de films qui parlent des femmes augmente, mais on sent un malaise, qu’il s’agisse de ses rôles ou de son travail; les cinéastes masculins ont manifestement de la difficulté à inté­grer la question des femmes et même les démarches des cinéastes féminines. En fait la libération des femmes se conjugue mal avec l’émergence du nationalisme; ce dernier ne sait comment en rendre compte.

Le nationalisme est le thème qui connaît un développement spectaculaire, tout comme celui de la culture et de l’histoire. Il permet de dire son appartenance, d’affirmer sa cul­ture, de mettre en cause son aliénation, de souhaiter sa décolonisation, de réfléchir sur sa place autant en Amérique du Nord qu’au sein de la francophonie et finalement de reven­diquer son droit à l’existence. Comme nous l’avons indiqué un peu plus tôt, c’est sur ce terrain que la transition de Cité libre à Liberté puis à Parti Pris se perçoit le mieux.

La valorisation de la culture québécoise contribue à l’affirmation du dynamisme natio­nal du Québec. Mais ce n’est pas la culture la plus contestataire ou la plus avant-gardiste qui trouve accueil dans la production; paradoxalement ce sont parfois des manifestations anciennes qui font surface, comme s’il était urgent qu’elles soient enfin reconnues au cinéma et donc éventuellement, par l’intermédiaire de la télévision et des salles, connues plus largement. Les sujets culturels sont peu liés à des thèmes sociaux, au contraire de sujets abordés dans d’autres films; seule la série Défi tâchera de briser un peu ce cercle.

Finalement l’histoire sert de base à des démarches de rattrapage et de contestation, mais dans un sens particulier. Le rattrapage se définit plus sur le terrain onéfien: il faut redon­ner une place à un thème relativement absent des périodes précédentes; dans ce cadre les sujets historiques visent autant à se servir du passé pour éclairer le présent et même pré­parer l’avenir qu’à préciser l’identité nationale. Par contre la contestation se porte plutôt sur le terrain non-onéfien, historiographique; il s’agit de remettre en cause certaines inter­prétations ou certaines représentations traditionnelles, notamment en ce qui a trait à la Nouvelle-France. Les films historiques permettent donc aux cinéastes de proposer des réé­valuations internes et externes qui leur semblent nécessaires.

Notes:

  1. Cette dimension commence à peine à se faire sentir à l’ONF au début des années soixante.
  2. Représentée ici par les ingénieurs, les cadres, les administrateurs, alors que l’époque précé­dente parlait plutôt des notaires, maires, médecins, curés et autres représentants plus tradition­nels de cette classe.