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Analyse thématique des films

Regrouper et analyser les films nous permettra de les situer dans le contexte idéologi­que où ils s’inscrivent. Nous avons voulu nous limiter à deux critères qui nous semblent cohérents avec la nature de notre corpus et de notre démarche. Nous avons choisi de rete­nir 1) autant que possible des appellations qui se retrouvent dans les catégories de la table des matières des catalogues de l’ONF; 2) les thèmes qui forment le sujet évident des films.

Nous mettrons de côté les thématiques secondaires, même si une analyse thématique ne peut se limiter au contenu premier du film. Plus souvent qu’autrement, les thèmes sont entremêlés, se renvoient l’un à l’autre, forment une paradigmatique qui trouve son ori­gine dans la réalité. Ces relations, qui procèdent du principe de l’association, permettent aux cinéastes soit de spécifier leur sujet premier, soit de le compléter, soit, en combinant deux types d’informations différentes et autonomes, de lui ajouter des dimensions nouvel­les, par opposition ou par similitude.

Cela montre bien la fine dialectique qui existe entre d’une part le cinéma, instrument d’un discours explicite et souvent enjeu de facteurs circonstanciels datés, et d’autre part le cinéma-reflet, confirmateur de sa réalité sociale et culturelle. Dans les deux cas sont mis enjeu des signifiants qui produisent des effets de sens, du dit ou du non-dit qui sont simultanément présents à l’image et de ce fait déchiffrables tant par le spectateur que par l’historien.

Le film nous éclaire donc autant sur ses réalités premières (le reflet) que secondes (l’ins­trument d’un discours) et devient alors doublement matériau historique. L’analyse théma­tique nous contraint à découper dans un continu que l’analyse particulière de chaque film permettait de respecter. Par ailleurs elle nous oblige à isoler des termes qui sont souvent reliés. Nous essaierons toutefois, sinon de maintenir ces relations, du moins d’en permet­tre le repérage tout au long du chapitre.

Avant de regrouper et d’analyser ces thèmes, situons-les globalement dans le contexte des films réalisés par les Canadiens français. Pour ce faire, regardons dans quelles gran­des catégories du catalogue de l’ONF ils se placent. Précisons auparavant qu’environ 60% seulement des films de notre corpus s’y retrouvent. Il y a à cela diverses raisons, notam­ment parce que la majorité des films des séries «Les reportages», «Sur le vif» et «Temps présent» fut destinée exclusivement à la distribution en salles ou à la télévision alors que le catalogue visait l’utilisateur public.

Conséquemment les données que nous fournissons indiquent surtout des tendances, des ordres de grandeur, des proportions. Précisons également que sur vingt ans, les catalo­gues de l’ONF n’ont pas toujours été cohérents quant à la classification qu’ils adoptaient; selon les époques, des catégories sont apparues et disparues.

L’examen des films inscrits dans chaque catégorie nous permet de délimiter trois groupes :

– celui des catégories où les Canadiens français ne se manifestent quasiment pas : Tou­risme et voyages (2 films), Affaires internationales (3 films), Transport (3 films). Riches­ses naturelles et ressources (5 films). Géographie (5 films), Pays étrangers (5 films).

– celui où ils présentent un score moyen : Santé et bien-être (11 films), Agriculture (17 films), Travail (24 films).

– celui où ils triomphent : Sports et loisirs (34 films), Civisme (35 films), Arts et lettres (44 films), Canada et Canadiens (45 films) et Sociologie (59 films auxquels il faudrait adjoindre les sept films d’une ancienne catégorie, Société).

Les films réalisés en anglais par les francophones se retrouvent surtout dans certaines catégories — Agriculture (5 films), Sports et loisirs (7 films), Arts et lettres (12 films) — et pratiquement pas dans les autres. Ceci s’explique principalement par la spécialisa­tion des studios; ceux qui étaient responsables de la santé, de l’agriculture ou des sujets destinés aux salles (donc par définition plus divertissants, comme le sport ou la chanson) relevaient du programme anglais; des Canadiens français y étaient rattachés ou y œuvraient à l’occasion. Il faut donc, pour les trois catégories que nous venons de citer, réviser à la baisse le chiffre global, ce qui ne modifie pas néanmoins l’ordonnance générale.

Par ailleurs les catégories les plus importantes présentent une ventilation chronologique continue tandis que les moins importantes sont généralement plus délimitées dans le temps: par exemple les cinq films de Pays étrangers se retrouvent entre 1958 et 1962 et ceux de Richesses naturelles ou de Géographie dans les années quarante. On s’aperçoit donc que l’intérêt des Canadiens français pour certains sujets oscille dans certains cas et se main­tient dans d’autres; ces variations peuvent s’expliquer par la politique de production de l’ONF ou par l’évolution des préoccupations des cinéastes. Par contre c’est dans la stabi­lité — de présence ou d’absence — que se révèlent les tendances véritables.

Pour avoir une idée encore plus précise, nous avons fait appel à une autre source d’infor­mations, le travail d’Alexandra McHugh 1. Celle-ci a divisé la production de l’ONF en trente-huit catégories de contenu qui s’inspirent à l’occasion de celles du catalogue; dans chacune l’auteure a distingué entre les films en français et en anglais. Sans entrer dans le détail, indiquons quelques constatations.

Par exemple il y a des catégories d’où les francophones sont pratiquement absents (moins de 5% de la production): Voyages et tourisme, Environnement naturel, Grand Nord, Sécu­rité, Santé mentale, Défense nationale. Par contre des catégories comme Sociologie, Arts, artisanat et culture et Général (vg les séries pour la télévision) traduisent une présence importante (entre 25 et 50% de la production totale de la catégorie) alors que la propor­tion de cinéastes francophones est de beaucoup inférieure à ces pourcentages. Dans ces derniers cas, la production est constante de 1939 à 1964 et progresse même. Ceci est d’autant plus intéressant que ces catégories, à elles trois, totalisent près de 40% de tout le minu­tage réalisé à l’ONF.

Ainsi, toutes proportions gardées, les francophones investissent avec force des secteurs qui laissent libre cours à leur initiative et qui correspondent à leurs préoccupations. La structure de production favorise d’ailleurs cela dans la mesure où le programme français a toujours été concentré sur un ou deux studios (selon les fluctuations de l’organigramme) qui décidaient de leurs sujets, s’en faisaient suggérer très peu et n’héritaient pratiquement d’aucune commandite. Au contraire, les anglophones, œuvrant à l’intérieur de plusieurs studios aux responsabilités définies, répondaient davantage à la mission utilitaire de l’ONF tout en ayant, eux aussi, une marge de liberté (par exemple au studio B) qui se définissait cependant à l’intérieur d’un budget beaucoup plus volumineux.

À cause de la marge de manœuvre dont ils bénéficiaient, les cinéastes canadiens-français ont privilégié des sujets qui leur tenaient davantage à cœur, qui étaient plus représentatifs de leur orientation et de leur culture. Cela leur servait de signe de reconnaissance. La volonté d’indiquer l’originalité du Québec et d’en proposer à l’occasion une vision sociohistorique constitue une marque de cette liberté.

Leurs films ont eu souvent une saveur sociale: ils s’ancraient dans la société d’où ils émanaient, la mettaient en jeu ou en représentation pour y avoir un impact. Pas étonnant que bon nombre de leurs films soient inclus dans cette vaste catégorie qu’est Sociologie.

Huit thèmes présentent l’essentiel des œuvres: Agriculture, Coopératisme, Industriali­sation, Syndicalisme, Femmes, Nationalisme, Culture, Histoire. Cela n’épuise naturelle­ment pas l’ensemble de la thématique de la production des Canadiens français, presque aussi vaste que la réalité elle-même. Nous enchaînerons d’un thème à l’autre en nous inspirant de la logique qui les relie et qui suggère un certain ordre narratif.

Nous ferons une exception pour le nationalisme; ce thème n’aurait pu se retrouver au catalogue puisque les catégories y sont essentiellement descriptives et concrètes. Mais nous avons décidé de l’inclure à cause de l’importance qu’il revêt dans la problématique de la recherche.

Nous procéderons en deux étapes. Nous étudierons l’évolution de chaque thème à tra­vers nos trois périodes et préciserons leur contexte historique. Nous tenterons ensuite de les situer dans un contexte idéologique plus global en nous référant d’une part aux gran­des catégories établies par Marcel Rioux et d’autre part en les reliant à quelques revues marquantes des années cinquante et soixante. Cela nous permettra de mettre en perspec­tive la production des cinéastes.

Notes:

  1. Op. cit., pp. 257-302.