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À propos des films faits par des femmes au Québec

Lorsque récemment, on a com­mencé à s’intéresser à la place des femmes dans le cinéma québécois, on s’est aperçu que le sujet était très vaste. Par exemple, on pourrait traiter de la représentation des femmes dans le cinéma québécois, et ce des années 40 à nos jours. Dans ce sens, il aurait été intéressant de suivre l’approche choisie par les réalisateurs masculins dans les films des années 60, en parti­culier dans les séries qu’ils ont réa­lisées sur la question même des femmes (La femme au travail : IL Y EUT UN SOIR, IL Y EUT UN MATIN, SOLANGE DANS NOS CAMPAGNES, CAROLINE, etc.). Comment ces réa­lisateurs ont-ils témoigné de la présence féminine durant les change­ments apportés par la Révolution tran­quille, comment ont-ils présenté à l’écran les contradictions rencontrées par les femmes dans et hors du foyer? Nous pensons aussi qu’il y aurait beau­coup à gagner à faire parler les femmes cinéastes sur leur expérience de travail, sur le rôle qu’elles jouent présentement dans le cinéma québé­cois ou qu’elles voudraient y jouer. Bref, le sujet est très riche et c’est pour­quoi pour les besoins de cette confé­rence, nous nous sommes limitées à un seul aspect de la participation des femmes dans le cinéma québécois, soit celui de leur participation récente à la réalisation de films. De fait, pour l’inté­rêt qu’ils représentent, nous nous sommes concentrées essentiellement sur les films faits par des femmes à propos des femmes.

Cela exclura d’emblée la produc­tion des femmes réalisatrices comme Édith Fournier, Nicole Duchêne, Anik Doussau, Nicole Robert et quelques autres dont les films touchent peu ou pas à la condition féminine. Nous appe­lons films à propos des femmes, les productions de courts ou longs métra­ges dans lesquelles les femmes en tant que personnages ont un rôle impor­tant, films où l’on aborde les différents problèmes complexes rencontrés par les femmes d’ici ou d’ailleurs.

Cela nous amène donc à poser les questions suivantes : est-ce que nous nous limitons aux films ouvertement fé­ministes? Tout film fait par une femme réalisatrice est-il d’emblée un film fémi­niste?

Pour répondre rapidement, nous pensons que les nombreux films faits par les femmes au Québec vont contri­buer en grande partie à poser les ques­tions d’égalité entre hommes et femmes. De nombreux films, de ma­nière non implicite, vont témoigner des changements nombreux apportés depuis plus de vingt ans soit sur la vie de couple, l’éducation des enfants, la sexualité ou les valeurs sociales. Par contre, on ne peut parler de films majo­ritairement féministes dans le sens où ils se revendiqueraient d’une idéologie claire et bien articulée du combat des femmes pour une égalité complète dans tous les domaines. Il faut donc tenir compte de cette réalité d’autant plus que dans le climat actuel d’agression ouverte contre plusieurs féministes, plusieurs femmes malgré leur contribution importante à la cause des femmes vont se déclarer publi­quement non-féministes.

  1. La critique et les films faits par des femmes

Tout d’abord quelques remarques sur notre rôle de critique et de cher­cheur sur ces questions.

Il faut remarquer aujourd’hui que sur une dizaine d’exposés faits à cette con­férence, trois seulement le seront par des femmes. Toutes trois de plus ont choisi de traiter de la participation des femmes dans le cinéma québécois. Est-ce le fruit d’un hasard? Nous ne le pensons pas. Il s’agit entre autres de l’in­térêt grandissant, mais encore limité, des femmes sur leur vécu, leur intérêt pour comprendre et critiquer la re­présentation qu’on en donne dans les arts, la littérature et les médias. Il s’agit sans doute encore de la relative passi­vité de plusieurs confrères masculins devant ce que plusieurs considèrent encore comme des « évidences socia­les”, comme la participation plus grande des femmes dans plusieurs do­maines et dans la lutte contre leur propre oppression.

En effet, pour peu qu’on gratte dans la recherche cinématographique, on fait face à un silence quasi total au niveau de l’analyse de la participation des femmes à la vie cinématogra­phique. Est-ce qu’on peut expliquer cette carence par la participation très récente des femmes à la réalisation? Peut-on dire que c’est à cause de la qualité des films réalisés, impliquant que ceux faits par les femmes sont de moindre intérêt? Est-ce pour cela qu’on en parle peu?

Je crois plutôt que nous avons passé comme critiques à côté d’un phéno­mène important et que nous n’avons pas su à l’époque lire à travers les changements. Après avoir relu encore récemment, les livres et articles sur le cinéma québécois, j’ai pu constater comment les critiques, dont moi- même, accordent en gros 3-4 lignes ici et là à la participation des femmes dans le cinéma québécois. Il n’y a pas pour le Québec d’études plus générales sur le phénomène des femmes à la réalisa­tion, tout au plus un interview occasion­nellement sur des films de femmes.

Peut-être le premier véritable coup de barre face à ce silence a-t-il été la publication en juin 1980 d’un numéro consacré aux femmes cinéastes qué­bécoises par la Cinémathèque?

Si on peut tirer une conclusion de tout cela, c’est bien celle de la persis­tance d’une conception sexiste de l’his­toire. On ne se prononce pas contre les changements apportés, mais on n’en parle pas; on ne comprend pas que notre vision des choses doit être ques­tionnée en rapport avec ce qu’on appelle la “normalité” de la vision du monde, la neutralité. En tant que criti­ques, chercheurs, professeurs, ne devons-nous pas être plus vigilants lorsque nous voulons analyser les ma­nifestations cinématographiques dans une société donnée?

Déjà en France et aux États-Unis, la critique cinématographique sur la question des femmes s’est beaucoup développée depuis 10 ans. Au Québec même, dans d’autres domaines com­me en sociologie, sciences politiques, littérature et théâtre, plusieurs études intéressantes nous indiquent le retard accumulé à ce niveau par le critique ci­nématographique sur la participation des femmes au cinéma québécois. Dans ce contexte très particulier, nos commentaires d’aujourd’hui devraient être perçus comme une base bien limitée d’une recherche à poursuivre.

  1. Les origines de la participation des femmes

Suite à ces brèves remarques sur la critique, notre deuxième observation porte sur le contexte d’apparition des femmes à la réalisation ainsi que sur l’évolution de ce phénomène.

La première chose qu’on peut dire c’est qu’il y a au moins trois cents films faits par les femmes au Québec depuis 10 ans. Sur ce nombre, au moins la moitié abordent des sujets que nous avons définis comme films à propos des femmes. Certains critiques disaient d’ailleurs que les films québécois les plus dynamiques des dernières années ont été réalisés par des femmes. Ils faisaient ainsi référence à des longs métrages comme MOURIR À TUE-TÊTE d’Anne Claire Poirier, à ÇA PEUT PAS ÊTRE L’HIVER, ON N’A MÊME PAS EU D’ÉTÉ de Louise Carré, à UNE HISTOIRE DE FEMMES de Sophie Bissonnette, Joyce Rock et Martin Duckworth et à L’HOMME À TOUT FAIRE de Micheline Lanctôt.

Alors que s’est-il passé au Québec si récemment pour qu’on ait pour la pre­mière fois de l’histoire des femmes réa­lisatrices qui s’expriment en plus grand nombre en cinéma?

Il y a tout d’abord les suites des ré­formes institutionnelles des années 60 dont l’accès plus grand à l’éducation. Pour les femmes cela a aussi impliqué la possibilité d’exercer d’autres métiers que ceux rattachés aux tâches domes­tiques.

Il y a eu aussi les pressions diverses de groupes de femmes pour exercer des professions dites non traditionnel­les, pour avoir des conditions de travail égales à celles de leurs confrères mas­culins. Depuis 10 ans aussi, les nom­breux débats sur la question des femmes, les luttes menées pour l’avortement, pour des garderies populaires, pour le contrôle de la santé ont sans doute permis à un plus grand nombre de femmes de mieux comprendre les inégalités qu’elles vivent. Sans doute aussi, leur participation active à diffé­rents niveaux d’intervention a redonné à plusieurs cette assurance devant leurs capacités, assurance nécessaire au travail de création, assurance que l’éducation, la famille et les pressions sociales avaient failli écraser à jamais.

Nous pouvons donc situer dans ce contexte, l’accès à la fin des années 60, d’un petit nombre de femmes très sco­larisées à la réalisation de films au Québec. Ce phénomène est d’ailleurs présent dans d’autres pays occiden­taux. On pense à des femmes réalisa­trices comme Agnès Varda, Jeanne Moreau, Marceline Loridan, Nelly Kaplan, Marta Mészaros, Shirley Clarke, Mai Zetterling qui vont com­mencer dans ces années-là à faire du cinéma.

Pourtant il faut remarquer encore une fois que par rapport à d’autres do­maines comme la littérature et le théâ­tre, la participation des femmes à la réalisation cinématographique sera beaucoup plus tardive et devrions-nous ajouter beaucoup plus faible.

Il est vrai que déjà le simple fait de faire des films est pratiquement un pri­vilège compte tenu des moyens né­cessaires et des sommes investies. Peut-être qu’à ce niveau, le poids des traditions en cinéma, la conception encore très tenace des métiers dits masculins et dits féminins, le rôle de plus en plus éminent joué dans la pro­fession par les financiers, tout cela fina­lement joue peut-être plus en défaveur des femmes en cinéma que dans d’au­tres médias.

La participation des femmes à la réa­lisation va donc se faire très lentement à partir surtout de la fin des années 60. Dans un premier temps, la plupart d’entre elles vont le faire dans un orga­nisme gouvernemental, l’Office natio­nal du film. Cela vaudra autant pour les francophones et les anglophones. Dans l’industrie privée à la fin des années 60 les femmes seront affectées encore à des tâches d’assistanat.

La série EN TANT QUE FEMMES de l’ONF en 1972 devient ainsi la première manifestation collective de films réa­lisés par des femmes à propos des femmes. Sans doute, le gouvernement canadien dans ses politiques cultu­relles ne pouvait-il pas ignorer encore plus longtemps plus de 52% de la po­pulation canadienne. Ces change­ments feront suite bien sûr à de nom­breux mémoires tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la profession. De plus il faut voir comment les femmes réalisa­trices elles-mêmes impliquées dans cette série ont dû rédiger des notes ex­plicatives innombrables pour appuyer cet ensemble de productions, pour de­mander un accès plus grand des femmes à différents niveaux de créa­tion et de décision. On peut déplorer aussi que cette “ouverture » faite par la série EN TANT QUE FEMMES n’a pas été une garantie d’abolition de discri­mination à l’ONF et la fonction publi­que. Il faudrait consulter à cet effet un volumineux rapport de 500 pages de l’ONF en 1978 sur la situation des femmes dans la boîte qui révèle avec forces exemples les inégalités de salaire, l’arbitraire dont sont victimes les femmes dans les promotions, le genre d’emplois offerts, les congés, etc. Récemment aussi l’on faisait cas d’une manifestation plus sournoise, parce que souvent cachée, le harcè­lement sexuel de nombreux patrons sur leurs secrétaires. Bref, même si des pas en avant ont été faits durant ces années-là sur la question des femmes, de nombreux problèmes subsistent et cela a eu des répercussions dans la production de films. A titre de réfé­rence, combien de femmes sont des exécutrices dans le domaine de l’ani­mation? Pour la plupart, elles nous sont inconnues, mais n’en continuent pas moins depuis de nombreuses années à travailler dans ce domaine. Une der­nière remarque sur le contexte général d’apparition des films faits par des femmes à l’ONF durant les années 70, renvoie aux limites mêmes des films faits sur la question des femmes par cette instance gouvernementale. Dans de nombreux films, nous avons l’im­pression que la question des femmes est traitée sur le même registre que la question des Ukrainiens en Alberta, des francophones au Nouveau-Brunswick et des nations amé­rindiennes dans l’ensemble du Canada. Les femmes sont souvent perçues comme un problème à régler rapidement. Un film comme CE QUE FEMME VEUT produit pour le Secréta­riat de l’année internationale de la femme en 1975 appartient à cette tendance. Cela donne malheureuse­ment à certains de ces films un côté pa­ternaliste et agaçant pour résoudre “vos problèmes mesdames”.

Heureusement, la conscience plus grande de différentes cinéastes a souvent contrebalancé ou atténué les conceptions douteuses. Bien des choses resteront pourtant à dire sur la voie de l’émancipation des femmes.

Depuis 1972, dans l’industrie privée des femmes cinéastes ont commencé à s’exprimer plus souvent. On pense aux réalisations de Mireille Dansereau, de Sylvie Groulx, lolande Rossignol et bien d’autres.

Beaucoup de leurs films faits sur les femmes ont été financés par de petites compagnies de production et ont été faits souvent en collectif. Pour ne citer que deux expériences révélatrices de ce climat difficile de réalisation, men­tionnons les difficultés nombreuses de financement de LA CUISINE ROUGE de Paule Bailllargeon et Frédérique Collin et UNE HISTOIRE DE FEMMES de Sophie Bissonnette, Joyce Rock et Martin Duckworth. Pour le premier, il aura fallu deux ans et demi pour le compléter, des soirées-bénéfices pour arrondir le budget et beaucoup de travail gratuit de la part des nombreux participants. Pour le deuxième film, il faut souligner ses sorties commer­ciales très difficiles, compte tenu sans doute du sujet et du traitement militant d’une grève à Sudbury, un ingénieux effort pour vider quelques fonds de tiroirs de maisons de production et s’appuyer sur les multiples contri­butions de travailleuses, travailleurs lors de soirées de congrès syndicaux pour financer ce long métrage.

Il faut savoir gré à plusieurs des femmes cinéastes d’avoir pris des risques importants en s’intéressant à la question des femmes à l’écran. Plusieurs associent encore question des femmes et questions très se­condaires et cela n’a pas dû aider les femmes cinéastes. Peut-on réellement réduire la question des femmes à deux ou trois sujets de films quand il est question de la moitié même de l’uni­vers? La question a souvent été posée…

Pour illustrer cette difficulté faite aux femmes en cinéma, il faudrait compter combien d’entre elles ont fait des films cette année. Certaines ont déjà con­tourné en partie la difficulté en choisissant au début des années 70, le vidéo. Ainsi à Québec, une compagnie de production-distribution très dyna­mique (anciennement La femme et le film maintenant Vidéo Femmes) met en circulation pas moins de 120 films et vidéos réalisés par des femmes dont la plupart abordent directement la pro­blématique féminine.

Pour terminer ce panorama de l’im­plication récente des femmes à la réa­lisation dans l’industrie étatique et privée, il nous faut mentionner l’ac­croissement numérique et qualitatif des productions réciproques des femmes réalisatrices. Au niveau numé­rique, si j’avais pu dénombrer une quinzaine de titres de films faits par des femmes à propos des femmes entre 1960 et 1975, pour les deux années sui­vantes, j’ai dénombré presque le même nombre de productions, la même chose pour les années 1978 et 1979. En 1980, on ne comptabilisera pas moins de 18 titres différents. 1981, jusqu’à main­tenant, semble malheureusement ternir ce tableau.

Concernant enfin la qualité des films réalisés, des améliorations importantes dans la manière d’aborder la question des femmes apparaissent constamment. Ainsi les premières réalisations des femmes utilisaient souvent une manière impressionniste de traiter de la question des femmes. Cela se mani­festait soit par la présence importante d’interview ou, de portraits qui ne cer­naient pas fermement les questions essentielles (SOURIS, TU M’IN­QUIÈTES, LE LOUP BLANC, UN INSTANT PRÈS D’ELLE). Les produc­tions plus récentes comme MOURIR À TUE-TÊTE, sur le drame collectif des femmes et du viol, du GRAND REMUE-MÉNAGE sur les stéréotypes mascu­lins et féminins, du film ÇA PEUT PAS ÊTRE L’HIVER, ON N’A MÊME PAS EU D’ÉTÉ, l’histoire d’une veuve de 60 ans obligée de réorganiser sa vie, tous ces films manifesteront, nul doute, une plus grande compréhension et une plus grande expérience par rapport à la question des femmes. Le sujet du film UNE HISTOIRE DE FEMMES est lui aussi très révélateur de la conscience féministe plus développée dans les années 70. Il est question non pas de montrer comment les femmes de gré­vistes à Sudbury ont suivi leurs maris ou comment elles ont été princi­palement des freins à leurs combats mais comment de l’intérieur les femmes participent à la lutte contre l’oppression en soutenant une lutte ouvrière,  se butant contre les préjugés, les obstacles de toutes sortes.

Toutes ces manifestations dynami­ques de la participation des femmes à la réalisation de films à propos de femmes ne nous font pas oublier par ailleurs que leur cinéma n’est encore qu’à ses débuts. Dix ans c’est bien peu. C’est aussi peu de temps pour tracer des lignes de force des principales tendances qui le traversent. C’est pour­quoi les deux prochains points de notre exposé qui portent sur les différences entre les films des femmes franco­phones et les films des femmes anglo­phones au Québec et en deuxième lieu sur la thématique des films franco­phones, ne constitueront avant tout qu’hypothèses et pistes de recherche sur lesquelles il faudrait à coup sûr revenir un jour.

  1. Francophones et anglophones

    À propos des femmes

Ce troisième aspect nécessitera de votre part une certaine clémence dans la mesure où plusieurs collègues ici présents sont déjà très familiers avec les productions des cinéastes anglo­phones du Québec. Il faut bien dire que de notre côté, les œuvres de ces femmes nous sont moins connues que les dizaines de films francophones vus et revus depuis quelques années. Compte tenu de la coupure existante entre “les deux solitudes”, la produc­tion privée des cinéastes anglophones nous a échappé. Un deuxième facteur qui est objectif, est la faiblesse numé­rique importante de productions de longs métrages de fiction et documen­taires faits par les femmes anglo­phones au Québec. Cet aspect cons­titue déjà une différence d’avec les productions francophones qui, depuis DE MÈRE EN FILLE en 1967, de LA VIE RÊVÉE en 1972, seront de mieux en mieux connues du public. Le long métrage francophone sera aussi ac­cessible dans certaines salles com­merciales.

Un deuxième facteur de compa­raison c’est la période d’apparition des femmes à la réalisation. Les femmes francophones feront des films plus tardivement que les anglophones sur la question des femmes. On peut évoquer à ce niveau différents facteurs pour expliquer cette réalité: il y a sans doute le poids plus important du clergé et de la morale traditionnelle sur la po­pulation francophone jusqu’au milieu des années 60, la nouveauté encore re­lative du cinéma québécois franco­phone par rapport au cinéma canadien en général. Un autre aspect fut sans doute le poids même de la question nationale sur l’emploi dans la fonction publique. A l’ONF durant les années 60, il y aura plus de femmes réalisa­trices anglophones, donc plus de chances pour qu’elles abordent plus rapidement la participation des femmes dans leurs films. Un autre aspect qui peut expliquer ce retard des femmes francophones à parler de leur oppression spécifique dans les luttes provient sans doute des priorités de luttes choisies. En effet de nombreuses femmes, consciemment ou pas vont militer prioritairement sur la question nationale, et vont choisir de parler dans leurs œuvres de changements divers, mais pas ceux touchés par la question des femmes. Plus que les an­glophones, elles évitent les questions qualifiées clairement de politiques.

D’un autre côté, les cinéastes anglo­phones vont souvent traiter du “pays”. Elles arriveront ainsi à mieux témoi­gner des origines diverses des femmes du Canada et de leur histoire.

Elles ne s’attarderont pas seulement aux femmes des années 70, mais elles vont parler aussi des femmes dans les années 30 (THE LADY FROM GREY COUNTY), des combats qu’elles ont menés depuis (THE RIGHT CANDIDATE FOR ROSEDALE, NON TRADITIONAL JOBS). Les femmes dont il est question sont souvent plus âgées, elles sont mères de famille, di­vorcées, en butte à la dépression ou aux pressions sociales (PRETEND YOU’RE WEARING A BARREL, PATRICIA’S MOVING PICTURE, THE APPOINTMENT, THE ADMITTANCE). Les cinéastes anglophones au Québec vont aussi décrire de manière plus im­portante la condition des femmes im­migrantes, des femmes amérindiennes dans le Canada. (PARASKEYVA CLARK, THE SPRING AND FALL OF NIJA POLANSKI, etc).

Cela est, il me semble, une contri­bution importante à la question des femmes qu’on ne devrait pas limiter aux problèmes rencontrés par les femmes blanches, jeunes, et ca­nadiennes-françaises “pure laine”.

Un autre aspect, qu’on peut remar­quer c’est une tendance des cinéastes anglophones à aborder la question de l’oppression des femmes par la des­cription de « portraits” de femmes. Plusieurs films s’attarderont à une femme et la suivront dans son chemi­nement. On retrouve cette démarche dans plusieurs films déjà cités et dans GREAT GRAND MOTHER, JUST A LADY, FRANCIS ANN HOPKINS, YOU’RE A VET, NO I, RAND LEWIS, A WORLD WITHOUT SHADOWS.

Plusieurs sont donc des films docu­mentaires ou des films dramatiques avec des acteurs professionnels, mais dont la facture empruntera beaucoup aux documentaires traditionnels.

Du côté des femmes francophones, on semble aborder la question des femmes dans ses manifestations plus collectives. On est donc moins attentif à décrire une femme en particulier, mais à nous présenter un ensemble de femmes qui vivent des situations ana­logues. Plusieurs films abondent dans ce sens : LE PLUS BEAU JOUR DE MA VIE de Diane Létourneau, D’ABORD MÉNAGÈRES de Luce Guilbault, LES FILLES C’EST PAS PAREIL d’Hélène Girard, A QUI APPARTIENT CE GAGE? du Susan Gibbard, J’ME MARIE, J’ME MARIE PAS de Mireille Dansereau, LA CUISINE ROUGE de Paule Baillargeon et Frédérique Collin, LE TEMPS DE L’AVANT, LES FILLES DU ROY d’Anne Claire Poirier.

On retrouvera aussi dans plusieurs films, un effort de généralisation du problème ou de la présentation des femmes, même si la démarche s’ap­puyait au départ sur l’expérience privi­légiée d’une femme. Cela est très clair dans MOURIR À TUE-TÈTE, dans FUIR, LE GRAND REMUE-MÉNAGE, MARICOQUETTE QUI N’A NI CHAUD NI FRETTE.

Ce qui m’a préoccupée aussi dans plusieurs films de l’ONF de cinéastes anglophones c’est un certain confor­misme, un côté moralisateur, “tra­vailleur social ancienne manière?” que nous retrouvons dans l’approche. Cela revient à présenter le fait de l’op­pression des femmes comme relevant avant tout de problèmes de compor­tement ou d’adaptation sociale. On ne parlera pas des bases sociales qui fondent l’oppression de toutes les femmes. D’un autre côté, dans le ton foncièrement optimiste des présen­tations de portraits de femmes, plusieurs cinéastes nous donneront à penser que les problèmes spécifiques rencontrés par ces femmes seront faci­lement surmontables avec une bonne dose de caractère et de débrouil­lardise.

A ce niveau, les cinéastes anglo­phones du studio D seront plus sensi­bles que leurs consœurs franco­phones à l’idéologie qu’on appelle égalité des chances, des programmes gouvernementaux. Malgré l’insatisfac­tion manifestée par plusieurs cinéastes face aux limites des projets actuels d’“action positive”, plusieurs films n’en continuent pas moins de favoriser soit le “cas à cas” dans la résolution de l’oppression des femmes, soit des so­lutions accessibles pour un petit groupe seulement. On pense à nouveau à des films comme CE QUE FEMME VEUT, LES QUÉBÉCOISES, qui vont mousser la nécessité pour les femmes d’accéder à des postes de cadres, ou de politiciennes comme voie importante de l’émancipation des femmes.

Lorsque l’on songe à l’expérience de lutte importante des femmes anglo­phones dans différents domaines, au terrain très riche de leur organisation sur la question des femmes, on peut remarquer le décalage certain entre plusieurs films et cette réalité.

Enfin pour terminer cette rapide comparaison entre les réalisations des francophones et des anglophones à propos des femmes il faudrait revenir sur les nombreux points de convergence des deux cinémas. En effet compte tenu du fait que les femmes des deux langues affrontent au Québec sensiblement des problèmes similaires au niveau de l’emploi, de la hausse du coût de la vie, de la discri­mination, il s’ensuivra que les problè­mes abordés dans les films seront assez semblables. On pense aux inté­rêts des femmes anglophones et fran­cophones tels que montrés à nouveau dans UNE HISTOIRE DE FEMMES, aux constats de nombreux films sur la réalité quotidienne des femmes. Leurs conclusions ne se contredisent pas. Les films même s’ils ne soulignent pas les mêmes présentations d’op­pression, donneront tout de même une image générale analogue. Ils souli­gnent nettement le désir des femmes de changer les choses. C’est aussi dans ce sens qu’il faut souligner cet in­térêt très grand des cinéastes des deux nations à visualiser dans leurs films que le privé est politique. Cette carac­téristique du mouvement des femmes dans les années 70 d’avoir lancé le débat sur la place publique aura dans ces films des répercussions. Les sujets ne sont pas tabous, on ose dire ce qui était du domaine privé, le couple, la se­xualité, l’éducation des enfants. On peut pour terminer conclure qu’autant par leur présentation du problème des femmes, que par les solutions en­visagées sur la question, les femmes réalisatrices anglophones et franco­phones appartiennent majoritairement au même courant de pensée qu’on a appelé le féminisme réformiste. Ce courant qui est de loin dominant dans le mouvement des femmes privilégie, comme son nom l’indique, les change­ments administratifs et juridiques pour résoudre l’oppression des femmes. On ne questionnera pas les limites du ju­ridique, son inégalité d’application selon les circonstances, les classes, les individus, pas plus qu’on ne s’inter­rogera sur les racines mêmes de l’op­pression des femmes qui remontent bien avant le capitalisme lui-même. Il est aussi fréquent de retrouver dans ce courant des partisanes incondition­nelles de solutions très individuelles comme les discussions répétées avec le conjoint comme première base des changements sociaux. Peu de films à ma connaissance appartiendront d’ail­leurs au courant plus récent du fémi­nisme né des luttes contre le racisme, la guerre, à la fin des années 60 qu’on a appelé féminisme révolutionnaire ou féminisme radical.

Mais nous nous arrêtons volon­tairement ici car nous avons déjà com­mencé à empiéter sur notre prochain sujet qui concerne la thématique des films des réalisatrices. Pour les besoins de cette conférence, nous ne pouvons développer plus amplement sur l’histoire même du mouvement fé­ministe et ses répercussions sur les films. Cela nécessiterait de plus amples développements comme des explications historiques moins sché­matiques.

  1. Les thèmes et l’approche des films des réalisatrices à propos des femmes.

Parmi la diversité des films faits depuis dix ans on peut tenter un premier regroupement au niveau des thèmes.

Denyse Benoît et Luce Guilbeault tournant DENYSE BENOÎT, COMÉDIENNE
Denyse Benoît et Luce Guilbeault tournant DENYSE BENOÎT, COMÉDIENNE
© ONF

On pourrait dire à cet égard, qu’un premier groupe de films va s’intéresser à la question de l’autonomie des femmes. Cette autonomie est posée en regard de la capacité des femmes de se défaire du poids souvent aliénant de la famille. Cela donnera plusieurs films où les cinéastes vont s’attarder sur les interrelations entre les personnes, sur les émotions des femmes aux prises avec leur passé ou leurs phantasmes. On pense alors à des films comme LA VIE RÊVÉE de Mireille Danserau, et à FAMILLES ET VARIATIONS, L’ARRACHE-COEUR de la même ci­néaste. Brigitte Sauriol dans L’ABSENCE et LE LOUP BLANC pro­cède sensiblement d’une démarche semblable. Leurs personnages princi­paux sont des femmes dans la ving­taine, œuvrant dans le milieu artisti­que, comme écrivain, dessinatrice, animatrice, ou photographe. Elles éprouvent des difficultés dans leur vie de couple avec des conjoints qui ne semblent pas les comprendre. Ces films se situent dans un milieu très clos car les liens qu’entretient le person­nage féminin avec l’extérieur sont tou­jours très minces. Ce sont donc des films très intimistes aussi au niveau de la facture.

Un intérêt très précis de plusieurs de ces films est de situer le problème des femmes en lien avec la famille et surtout l’influence du père. C’est là que résiderait la cause principale du désar­roi de ces femmes. Ce qui fait de plusieurs de ces films, consciemment ou non des défenseurs en partie des théories freudiennes sur le rôle du père et l’éducation des femmes. A ce niveau, ce cinéma sera assez ambigu. Un exemple nous est donné dans LA VIE RÊVÉE de Mireille Dansereau qui nous raconte l’histoire de deux jeunes femmes dans la vingtaine. Leurs désirs se cristallisent pourtant dans le phan­tasme d’un homme assez vieux pour être leur père. Elles parviendront par leur amitié et par la “pratique” à vivre une nuit cette relation tant souhaitée, à se défaire de leurs phantasmes. Pour­tant on reste songeur devant cette des­cription euphorique autant des phan­tasmes dits courants des femmes de 20 ans et la facilité avec laquelle on se débarrasse du poids anciennement si envahissant des hommes aux tempes grisonnantes. On pourra poser aussi les mêmes questions à un film comme L’ABSENCE quand l’héroïne trouve un apaisement aux multiples con­tradictions qu’elle rencontre en se ré­conciliant avec son père mourant.

La deuxième approche, que j’ai pu remarquer dans plusieurs films, consistera à inventorier les manifes­tations sensibles d’oppression des femmes. Par ailleurs, on ne parle pas explicitement du mot oppression. Ces films ne permettent pas un haut degré de conceptualisation. Ils sont plutôt descriptifs. C’est dans cette optique que la série EN TANT QUE FEMMES prend tout son sens. On fait un bilan de la réaction des femmes dans différents domaines comme leur réaction face aux garderies, leur attitude face aux garçons à l’école secondaire, leur rôle dans la construction du Québec, leur vie comme ménagère. Ces films re­gardent vivre des femmes dans une si­tuation donnée et posent des ques­tions. Il n’y a pratiquement pas de gé­néralisation du problème ou d’efforts de synthèse. Pourtant ils représentent le premier pas en avant pour témoi­gner de la réalité quotidienne des femmes par des femmes. C’est peut- être aussi le plus loin que l’on pouvait aller à ce moment-là compte tenu des circonstances.

Un film qui essayera de dépasser le constat dans un domaine donné et une possibilité de généralisation est le film SOME AMERICAN FEMINIST de Luce Guilbault et Nicole Brossard fait à l’ONF en 1975. Le film présente une série d’interviews de féministes radi­cales américaines et peut permettre par ce moyen une connaissance de ces militantes qui ont influencé le mouve­ment des femmes. Pourtant il faut re­marquer que ce portrait historique par un film n’a pas été fait ni rendu possi­ble sur le mouvement même des femmes au Canada et sur ses tendances plus radicales. Une mise en situation plus concrète du film SOME AMERICAN FEMINIST aurait dû être faite pour compléter ces interviews: on aurait été intéressées d’apprendre ce que les actions prônées par ces femmes ont donné, où en était rendu le mouvement des femmes en 1976? Le film demeurera donc éminemment descriptif même si on tente une saisie plus générale à partir de cas particu­liers.

Une autre démarche intéressante sera celle de Luce Guilbault et son film D’ABORD MÉNAGÈRES. Une particu­larité nouvelle de ce film est de laisser le milieu propre aux réalisatrices, pour s’intéresser à des milieux où les femmes sont moins scolarisées ou pri­vilégiées. Les femmes que nous voyons sont des ouvrières, des em­ployées de bureau, des travailleuses à l’entretien. On nous introduit dans leur cuisine, leur salle de bain, à leur travail. Nous vivons avec elle cette double journée de travail. Ainsi on verra entre autres cette séquence pourtant si fami­lière, mais rare sur l’écran, d’une ou­vrière de retour chez elle servant avec ses filles le repas à toute la famille. Les hommes, bien tranquilles se font servir et ne se lèveront pas de toute la durée réelle du repas.

Dans ces films-inventaires de la réalité des femmes, le ton deviendra plus mordant avec les années. Si au début, on se contentait surtout de montrer les situations les unes à la suite des autres, des films vont com­mencer à souligner les conflits, consé­quences, coupures de ces situations sur les femmes. Bien que ces films de­meurent toujours dans la veine princi­pale du documentaire, ils présenteront de plus en plus les événements en termes de confrontation. Cela nous per­mettra de mieux comprendre le déchi­rement conséquent à l’oppression des femmes. Les personnages de femmes vivent devant nous une situation qu’el­les ont déjà connue, ou on fera jouer par des actrices professionnelles, des histoires prises de la réalité. ÇA PEUT PAS ÊTRE L’HIVER, ON N’A MÊME PAS EU D’ÉTÉ nous rendra sensible à la coupure dans la vie de cette femme suite à la mort de son mari. Le film permet de suivre un cheminement où la personne doit agir, doit s’occuper seule d’une maison. On la verra qui n’y arrive pas dans un premier temps. La réalisatrice décrit ainsi très bien la dé­pendance des femmes par le mariage, et la division du travail qui souvent laissera à la femme essentiellement les tâches d’exécution. Les femmes ont vécu pour les autres et par les autres, seules elles sont très démunies. Le personnage principal de ÇA PEUT PAS ÊTRE L’HIVER… doit donc faire ce lourd, mais nécessaire apprentissage de l’autonomie. C’est donc par l’exemple, une description très précisée d’une manifestation importante d’op­pression des femmes.

D’autres films comme MARICOQUETTE QUI N’A NI CHAUD NI FRETTE, LE GRAND REMUE-MÉNAGE rendront compte de démar­ches plus organisées des femmes dans la lutte contre leur oppression. Le montage de ces films, le choix des évé­nements, comme le commentaire, posent la nécessité pour les femmes de lutter ensemble, de discuter collec­tivement, de prendre des moyens communs.

Ainsi dans le film, LE GRAND REMUE-MÉNAGE, les réalisatrices Sylvie Groulx et Francine Allaire ont choisi de concentrer leurs images sur deux individus, témoins on ne peut plus vivants du chauvinisme masculin. Il s’agit de Champ un propriétaire d’un “café” italien, beau garçon, célibataire, discourant sur les qualités nécessaires aux filles d’aujourd’hui et les vertus non moins nécessaires d’un don Juan moderne. Et il y aura aussi Gogui, un Champ en miniature, un tombeur de filles de 9 ans vivant dans le quartier Centre sud à Montréal. Gogui nous ex­pliquera à son tour l’art d’être un vrai homme, comme ceux qui l’entourent, comment retrousser une fille dans la paille, etc. Le film va donc confronter cette présentation de Champ et Gogui avec le point de vue de femmes sur leur éducation, avec des séquences sur l’image publicitaire donnée de la femme, sur l’enrégimentation des hommes au camp de l’armée ca­nadienne à Longue Pointe. Il y aura ainsi dans ce film un choix organisé de séquences afin que le spectateur réalise les contradictions issues de ces différents points de vue sociaux.

Diane Létourneau avec LES SER­VANTES DU BON DIEU va procéder à quelques reprises de la même ma­nière. Le sujet de prime abord semble appartenir au passé québécois. Il s’agit d’un film sur une communauté reli­gieuse de femmes près de Sher­brooke. On s’attardera pendant près d’une heure et demie à décrire leurs ac­tivités diverses dans le couvent et à l’extérieur au service des curés catholi­ques. Le choix de ce sujet est donc bien cerné; on montre ainsi comment un groupe de femmes a comme rôle social celui de servir un groupe d’hom­mes religieux. Cette comparaison re­viendra à différentes reprises dans le film. Les religieuses par exemple font le service à la table des religieux. Eux n’ont qu’à faire sonner une cloche et elles accourent changer les plats, ap­porter le café. Pendant ce temps-là une autre religieuse grignote sur un coin de table les restes sans doute du copieux repas qu’elles viennent de servir.

D’autres films vont choisir aussi de dénoncer le rôle dévolu aux femmes dans la société. Nous avons déjà men­tionné la critique du film UNE HIS­TOIRE DE FEMMES sur le paterna­lisme encore présent des milieux plus combatifs comme les milieux syndi­caux face aux femmes. Il faut rappeler aussi qu’un réalisateur Martin Duckworth a été partie prenante de ce film, et de ses critiques. Cela apporte donc un éclairage précis sur l’existence dans la profession d’hommes féminis­tes, ce qui est encourageant actuel­lement. En effet, il faut rappeler l’absence quasi totale dans plusieurs films de gauche au Québec du moindre réfèrent face à l’existence de l’oppression des femmes.

Enfin, nous ne pouvons terminer ce deuxième aspect des films documen­taires de confrontation sans dire quel­ques mots rapides sur le film d’Anne Claire Poirier MOURIR À TUE-TÊTE. Le film part d’un fait social connu, l’existence du viol des femmes. Il choisit de nous montrer de manière chronologique et au temps réel, le viol d’une jeune infirmière qui revient de son travail. La réalisatrice rendra ainsi compte de l’agression générale sur la femme que représente le viol. Il devient ainsi un acte de haine perpétré contre les femmes. La victime de ce viol ne pourra pas accepter, et encore moins combattre les effets de cet acte de vio­lence sur elle. Elle s’éteindra physi­quement suite à cette première mort lors du viol.

La suite du film deviendra un ré­quisitoire collectif des femmes contre ces actes d’oppression, et de violence. Filmé comme un procès des femmes violées, la suite du document nous per­mettra d’assister à la montée de ce grand coryphée qui décide de se révol­ter, de dire tout haut sa douleur et sa révolte. Anne Claire Poirier choisira ainsi de dénoncer une situation intolé­rable et pas simplement de nous décrire qu’une telle situation existe. Cette prise de position très claire de la part de réalisatrices donnera ainsi à plusieurs documents un impact impor­tant sur le spectateur.

Abordons maintenant un troisième niveau de films qui procéderont au contraire par allusion sur la situation des femmes. Ces films ne posent pas le problème des femmes en terme “d’atmosphère”. Ainsi plusieurs films veulent témoigner des rituels féminins. On pense à deux longs métrages, celui de Paule Baillargeon et de Frédérique Collin, LA CUISINE ROUGE et à celui de Léa Pool, STRASS CAFÉ.

Dans le premier film, on nous présente un mariage et la réception qui suivra. Dans la salle se retrouvent les mariés, les invités et à l’arrière les femmes qui devraient faire le service de la réception. Les rituels des hommes s’appuient sur la perfor­mance, l’affirmation de soi, le rapport de force et le chauvinisme. Les femmes n’arrivent plus à répondre à l’image exigée par les hommes. Elles choisissent le jeu, certaines sombrent dans la dépression, une autre choisira la fuite.

Dans le film de Léa Pool, les al­lusions à la condition des femmes sont plus ténues. Ce n’est d’ailleurs pas le propos du film qui est plutôt de rendre l’état d’âme d’un couple qui se cherche dans la ville et le souvenir. Ces films suggèrent l’existence de profonds traumatismes dans le vécu des femmes. On fonctionne aussi comme si l’on voulait exorciser par le rituel féminin, les manifestations de passivité de plusieurs femmes. Par ailleurs, on ne comprendra pas toujours dans ces films comme dans d’autres comme LA CRUE de Denyse Benoit, ANASTASIE OH MA CHÉRIE de Paule Baillargeon, l’origine de ces rituels dits féminins et pourquoi la névrose devient le lot de plusieurs femmes. Les hommes ne sont-ils pas alors les responsables de ces traumas? Cette ambiguïté dans la présentation des causes de l’op­pression des femmes a donné quel­ques fois de l’eau au moulin à certains qui voudraient ridiculiser le féminisme en l’associant à un mouvement de ven­geance contre les hommes. Les films ci-haut cités ne défendront pas ce point de vue, mais leurs conclusions seront sujettes à interprétation.

Un long métrage fait récemment par des réalisatrices de Québec C’EST PAS LE PAYS DES MERVEILLES va décrire plus en détail les compor­tements névrotiques de plusieurs femmes et leur aliénation plus grande dans les hôpitaux psychiatriques. À partir d’interviews et de reconstitutions dramatiques, ce film nous propose un déchirant portrait des conséquences sociales de l’oppression des femmes. La deuxième partie du film procédera enfin par analogie et par allégorie pour dénoncer ces images mythiques im­posées aux femmes.

Nous terminons ici cette courte présentation de diverses tendances de réalisatrices québécoises à propos des femmes, en soulignant les apports par­ticuliers donnés par ce cinéma depuis quelques années.

  1. Particularités de ce cinéma.

Un premier constat qu’il faut souli­gner est la persistance à travers les films du respect des êtres, hommes et femmes. Dans les quelque cent films que j’ai visionnés, aucun ne défendra une conception mythique des femmes. Cela est nettement à opposer à plusieurs images de femmes données par les réalisateurs québécois mascu­lins. Nous n’aurons pas dans ces films de descriptions de héros masculins ou féminins. Il faut voir aussi avec quel respect on va présenter le corps des femmes, sans fausse pudeur, mais sans voyeurisme. Cela est on ne peut plus frappant; en effet le cinéma nous a habitués à une caméra incisive et insidieuse braquée sur le corps des femmes. Dans les films réalisés par des femmes, aucune femme n’est présentée comme un morceau de viande; cela devrait nous amener à ré­fléchir sur de nombreux films dits de dénonciation de l’oppression des femmes qui sont assaisonnées de scènes voyeuristes… Il faudrait pouvoir y revenir un jour.

Si on poursuit, on peut aussi remar­quer comment la présentation d’actri­ces comme Louise Marleau différera dans un film comme L’ARRACHE-COEUR de Mireille Dansereau avec celles d’autres films où elle évolue. On peut passer la même remarque pour Luce Guilbault, Frédérique Collin, Monique Mercure, etc.

D’un autre côté, les personnages masculins ont droit à une description très différente comparativement à la vision triomphaliste habituelle. Ils sont confrontés dans la vie de couple; loin d’être actifs, combatifs, ils encaissent sans broncher les remises en question sur le couple, le partage des tâches, etc.

Nous aurons ainsi dans plusieurs films une image plus réaliste de la vie de couple. Nous assistons à la vie quo­tidienne, aux discussions entre les femmes et les hommes. Ce n’est pas la vie en rose d’UN HOMME ET UNE FEMME, de LOVE STORY ou de QUELQUES ARPENTS DE NEIGE. Les situations décrites permettent une meilleure saisie du vécu et des hommes et des femmes. A ce sujet, les formes d’interviews privilégiées par les femmes réalisatrices donneront des résultats plus concrets que dans cer­tains films dits vérités. Les questions demandées sont plus précises et vont au fond des choses. On a de bons exemples de cette démarche d’en­quête dans deux films faits sur la condition des immigrantes au Québec, LES BORGES de Marilu Mallet et LES VOLEURS DE JOB de Tahani Rached.

De nombreux autres apports du cinéma faits par les femmes reste­raient à débattre. Notre heure d’exposé se terminant par ailleurs, je vais donc conclure.

  1. Quelques suggestions, en guise de conclusion.

LE PLUS BEAU JOUR DE MA VIE
LE PLUS BEAU JOUR DE MA VIE
Coll. Cinémathèque québécoise

On m’a demandé tantôt si tous les films faits par les femmes réalisatrices sont des films qui ont tous aidé à la compréhension de la question des femmes. J’ai répondu rapidement en donnant de rares exemples de films qui m’apparaissent desservir la lutte pour l’égalité entre les hommes et les femmes. J’ai parlé par exemple de cer­tains passages du dernier film de Diane Létourneau LE PLUS BEAU JOUR DE MA VIE qui vont confondre la dénonciation de l’institution du mariage avec celle de certains rituels sociaux d’une seule classe en particu­lier. J’ai mentionné aussi un film de Monique Crouillère, SHAKTI, qui fait figure d’exception dans la démarche féministe des auteurs en décrivant le matriarcat indien comme un apport à la cause des femmes. Ces réponses sont donc incomplètes et il faudra y revenir.

Ces exemples peuvent tout simple­ment faire à nouveau ressortir l’impor­tance de poursuivre la recherche sur le cinéma québécois concernant la parti­cipation des femmes, il est à souhaiter en effet que les confrères dans leurs études, les textes qu’ils poursuivent, intègrent de plus en plus les réalisa­tions des femmes, et se prononcent sur ces enjeux.

Il devient donc impérieux enfin qu’on brise le mur du silence qui entoure la réalisation de plusieurs films de femmes; autant il importera aussi de dénoncer une situation qui relègue aux oubliettes de nombreuses actrices très valables, ou qui risque de faire taire par des politiques administratives coercitives tout un secteur qui a fait la renommée et la richesse du cinéma québécois.


Cet article a été écrit par Louise Carrière. Critique, elle enseigne au Cégep du Vieux-Montréal.