La Cinémathèque québécoise

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À la recherche de Bowers (ou comment des archives se donnent la main)

DCQ_1980_08_CouvertureIl existe parfois des trouvailles solitaires qui ouvrent tout à coup une fenêtre sur un pan oublié de notre mémoire. Mais la mise en valeur d’une telle trouvaille, la recherche d’échos et de pistes qui la prolongent, demandent le plus souvent un travail multiple, fait de collaboration et de hasard, de passion partagée et d’amours ressuscités. C’est à cette confluence précise que peuvent se rencontrer et se rejoindre les institutions qui ont pour mandat de préserver l’héritage culturel de l’humanité. Les cinémathèques en font partie et il arrive régulièrement qu’elles conjuguent leurs efforts dans une entreprise comme celle que nous venons d’évoquer. Le cas que nous allons raconter en est un magnifique exemple.

Au début des années 60, la Cinémathèque de Toulouse récupérait des films burlesques américains chez de vieux exploitants forains — pour la plupart des gitans — recyclés dans le 16mm sonore. Dans ce stock, trois comédies en plusieurs copies, combinant admirablement prises de vues réelles et séquences animées, avec pour toute identification des titres français – POUR ÉPATER LES POULES, UN ORIGINAL LOCATAIRE, NON, TU EXAGÈRES! — et un nom : Bricolo, surnom dont le distributeur français avait affublé le personnage central, un comique inconnu de la fin du muet, apparaissant dans chaque film tourné à 24 images/seconde, ce qui les datait. Impossibles à identifier de prime abord, c’est le fait du hasard qui permit de découvrir les titres originaux : EGGED ON, A WILD ROOMER, NOW, YOU TELL ONE, et le nom authentique du comédien : Charles R. (Charley) Bowers. Le Copyright américain nous apprit qu’une série de 18 Bowers Comedies avait été enregistrée entre 1926-28 où se retrouvaient les trois titres mentionnés plus haut.

Restauration faite, Toulouse confia la matrice à la Cinémathèque royale de Belgique aux fins d’établir des négatifs et des positifs furent tirés pour la Cinémathèque québécoise, compte tenu de notre spécialisation. Cette dernière connaissait Bowers en tant que réalisateur de la série Mutt & Jeff et pour avoir acquis antérieurement trois films dont un, IT’S A BIRD, tout à fait particulier, daté de 1930. Après Toulouse et Bruxelles, Montréal prit la suite.

En 1980, une rétrospective Bowers fut organisée pour le Festival d’Ottawa et s’avéra une révélation. Pour accompagner cette rétrospective, une plaquette était rédigée par Raymond Borde et moi-même dans laquelle se trouvaient réunis tous les résultats de nos recherches communes. L’année suivante, le cours des événements nous mit en présence de Lou Bunin, pionnier de l’animation américaine, qui, non seulement avait connu Bowers mais avait appris son métier en travaillant avec lui à un film de marionnettes intitulé PETE ROLEUM AND HIS COUSINS réalisé, scénarisé et produit par Joseph Losey pour les grandes compagnies pétrolières à l’occasion de la foire mondiale de New York en 1938. Lou Bunin possédait une copie nitrate qu’il mit aimablement à notre disposition pour transfert sur acétate. Bunin nous avait fourni de précieux renseignements lesquels furent accrus par Joseph Losey lui-même avec qui nous avions pris contact par courrier. D’un chaînon à l’autre, divers documents sur ce film nous furent transmis par le British Film Institute, dépositaire des archives personnelles de M. Losey, notamment les deux versions du scénario. Ces nouvelles découvertes firent l’objet d’Archives #3 publié par l’Institut Jean Vigo et la Cinémathèque de Toulouse.

Entre-temps, une autre des Bowers Comedies, BRICOLO INVENTEUR (titre anglais indéterminé) fut repérée au Service des Archives du film de Bois d’Arcy. Récemment, la Library of Congress nous indiquait qu’un film de marionnettes signé Bowers venait d’être retrouvé. De son côté, Kevin Brownlow, connu notamment pour sa restauration de NAPOLÉON d’Abel Gance, nous informait qu’un collectionneur avait en sa possession un film de Bowers, apparemment l’un de la série des dix-huit. Dans les deux cas, nous travaillons à en obtenir copies. Cette entraide nous encourage à demeurer à l’affût.

Suite aux premières présentations publiques des films de Bowers en France et au Canada, un grand nombre d’institutions désireuses de les inscrire à leurs programmes font sans cesse appel à la Cinémathèque de Toulouse et à la nôtre. Ensemble, nous avons réussi à extirper de l’oubli des films appartenant à l’intarissable source du cinéma comique américain du début du siècle. Voilà un bel exemple de collaboration multilatérale entre archives.

Louise Beaudet