Des appareils cinématographiques bientôt en relief !

Il s’agit de l’un des premiers modèles de caméra 16mm portable, à destination des amateurs. Au début des années 30, seuls les plus fortunés pouvaient cependant se permettre de l’acheter, au prix d’environ 175$.
Depuis cet été, les appareils cinématographiques de la Cinémathèque québécoise font l’expérience de la numérisation 3D ! Des membres du projet de recherche TECHNÈS 1, de l’Université de Montréal, mettent en effet en place une encyclopédie en ligne visant à repenser le rôle de la technique dans l’histoire du cinéma. Planifié sur sept ans, ce vaste projet prévoit notamment de sélectionner plusieurs centaines d’appareils reliés au cinéma afin de les photographier et les numériser en 3D, les documenter, les indexer dans une base de données, et enfin les rendre accessibles sur le Web… autant d’étapes qui construiront un nouveau regard sur la place des appareils et des savoir-faire dans le cinéma.
En sa qualité de partenaire, la Cinémathèque québécoise a accueilli récemment les premiers tests de numérisation 3D, effectués à partir de ses collections. Une occasion de suivre la mise en place de ce processus répondant à la fois à des contraintes techniques et muséales et des besoins spécifiques liés à la recherche.
Du Choix et de la préparation des appareils…
Parmi les 2300 appareils que nous conservons dans nos réserves, une soixantaine ont été choisis par le comité scientifique de TECHNÈS pour cette première expérience : incontournables, ils représentent une diversité de catégories (caméras, projecteurs, colleuses, …), de formats professionnels et amateurs (35 mm, 16mm, 28mm…) et illustrent parfois l’évolution d’une technique au fil du temps. Cette sélection tient compte pour l’instant des sujets de recherche des 48 chercheurs-membres du projet, de l’état ou de la fragilité des appareils, ainsi que des tests à effectuer pour évaluer les capacités et limites de la technologie 3D. Face à l’étendue de l’ensemble des collections des institutions partenaires (telles que celles par exemple des cinémathèques française, suisse ou du George Eastman Museum [Rochester, É-U.]), des critères de sélection plus précis seront établis par la suite.

Une fois sortis de nos réserves, les appareils sont transportés dans nos locaux à Montréal et l’équipe de TECHNÈS apporte son matériel de numérisation 3D, étonnamment léger et aisément transportable (seuls deux scanners, un ordinateur portable et quelques accessoires suffisent). Chaque appareil cinématographique ayant ses spécificités et ses vulnérabilités, chacun est inspecté au préalable par l’archiviste des collections afférentes à la Cinémathèque québécoise, qui détermine comment ils devront être manipulés et positionnés sans subir de dommages. S’il est de petite taille, l’appareil est placé de manière sécuritaire sur une table tournante. C’est en position d’usage (c’est-à-dire tel qu’il est prévu pour fonctionner) qu’il est le plus robuste et que l’équipe de TECHNÈS pourra le manipuler, tandis que l’archiviste ou une technicienne en muséologie prendra en charge toutes les autres manipulations. Des cibles sont ensuite posées sur des supports entourant l’appareil, comme c’est le cas sur la photo ci-contre. Ces pastilles réfléchissantes et autocollantes permettront au scanner de se repérer dans l’environnement, et leur espacement – de 5 à 6 cm maximum – déterminera la précision et la rapidité avec laquelle la numérisation sera effectuée.
…À LEUR NUMÉRISATION 3D
Lorsque les appareils cinématographiques sont prêts, c’est au matériel de numérisation d’être calibré. Le scanner qui sera utilisé doit s’adapter à l’ambiance de la pièce (l’humidité joue un rôle, mais la lumière ne semble pas avoir d’incidence), tandis que le logiciel d’acquisition de données 3D VXelements de Creaform, auquel il est relié, a besoin de connaître la vitesse d’obturation (par exemple, 8 ms) ainsi que la résolution souhaitées (entre 2 mm pour le scanner le plus large et 0.1 mm pour le scanner le plus précis, ce qui demandera plus de temps pour la numérisation). Les cibles sont enfin montrées au scanner afin que ce dernier puisse se repérer dans l’espace, et la numérisation peut alors commencer.
Formant un véritable travail d’équipe, une première personne dirige le scan autour de l’appareil pour effectuer la numérisation, pendant qu’une seconde personne lui transmet les informations que lui fournit en direct le logiciel, à savoir par exemple si le scanner est trop près ou trop loin de l’objet à numériser. Chaque scanner est équipé de trois caméras et d’un champ lumineux projeté sur l’objet. Ils doivent demeurer à une certaine distance de l’appareil et être maniés lentement, sans toutefois rester trop longtemps au même endroit, sous peine de dégrader la qualité de l’image finale.

Si l’équipe s’attendait initialement à ce que la taille des objets ou la complexité des formes posent problème, les sources de difficultés se sont avérées autres au cours de ces tests. Ainsi, ce sont plutôt la couleur, le type de forme et le réfléchissement de la surface des appareils qui semblent avoir un impact sur la qualité de la numérisation : le scanner comprend moins bien les appareils sombres ou aux formes rondes, et se trouve perturbé par les surfaces vernies ou les éléments transparents, ce pourquoi la poussière est finalement autant que possible conservée sur les appareils.
En une dizaine de minutes en moyenne, un scan est terminé et donne lieu à un fichier « .csf » d’environ un Go. Mais il en faudra trois à quatre autres pour un même appareil, de manière à obtenir toutes les faces de ce dernier : le bas, le haut, les côtés et éventuellement l’intérieur sont en effet analysés séparément par le scanner, puis seront assemblés en post-production afin d’obtenir une seule vue que l’on pourra manipuler et faire tourner. Au total, comme il faut entre chaque scan repositionner l’appareil et replacer les cibles, il faut compter environ 2h pour obtenir la numérisation complète d’un petit appareil.
Pour la mise en place d’une encyclopédie raisonnée des techniques Du cinéma
Bien que déjà considérables, ces premiers tests – qui ont permis en 12 jours de numériser 15 appareils en 3D – ne sont que le début d’une longue démarche. Les fichiers obtenus suite à la numérisation devront d’abord être retravaillés en post-production : en utilisant VXmodel, le logiciel de post-traitement de numérisation 3D fourni par Creaform, les accessoires ayant servis au scan (table tournante, cibles, etc…) seront retirés de l’image, avant que le maillage et la texture de l’appareil soient améliorés avec l’aide des photographies 2D de ce dernier. Les fichiers seront peaufinés ultérieurement via le logiciel de modélisation Maya.

L’objectif de ces tests, outre leur aspect technique, est aussi d’évaluer les possibilités et contraintes liées à l’équipement matériel, aux appareils cinématographiques et aux aspects muséologiques, en vue d’établir un protocole répondant aux besoins et situations observées. L’une des réflexions principales porte sur la valeur ajoutée que peut apporter la numérisation 3D, et la nécessité d’utiliser cette technologie pour tous les appareils. En effet, alors que cette dernière permet d’obtenir une vision du volume, de l’espace et de l’échelle des appareils, la plupart des chercheurs continueront à souhaiter accéder aux appareils eux-mêmes ou à mener des recherches à partir de photographies, qui dans certains cas fournissent de plus amples détails. Il reste donc à déterminer dans quels cas de figure, selon quels besoins et sujets de recherche la numérisation 3D sera mieux adaptée et apportera un intérêt supplémentaire par rapport à la photographie. Déjà, il a été décidé que les objets qui accompagnent les appareils (boîtiers, objectifs, etc) seront seulement photographiés.

Enfin, au-delà de la représentation 3D des appareils cinématographiques, c’est aussi tout le contexte d’invention, de fabrication et d’utilisation de ces derniers qui seront documentés et accessibles. Via un moteur de recherche et des parcours thématiques, l’encyclopédie permettra d’accéder à des fiches documentaires sur chaque appareil, comprenant entre autre leurs images 2D et 3D, des archives et entretiens filmés. Une base de données sera spécifiquement conçue pour recueillir ces informations, tandis que des protocoles de documentation répondant aux normes en vigueur dans les milieux patrimoniaux sont élaborées avec des chercheurs de l’École de bibliothéconomie et des sciences de l’information (EBSI, Université de Montréal). L’un des défis majeur sera ensuite d’exploiter au mieux ces données et documents sur le Web, de manière à offrir une expérience enrichissante et à donner à voir une certaine histoire de la technique au cinéma – laquelle sera en partie déterminée par les choix qui auront été effectués tout au long du projet, de la sélection des appareils à leur mise en ligne. Si les données recueillies venaient par ailleurs à être ouvertes, c’est leur partage et donc leur réutilisation dans d’autres contextes et projets, par d’autres personnes et chercheurs, qui deviendraient possibles.
La Cinémathèque québécoise est heureuse d’accroître ainsi la connaissance et l’accès à son importante collection d’appareils. Les premières recherches lui ont déjà permis d’enrichir la documentation sur ses collections, en distinguant par exemple trois modèles différents d’une caméra Pathex qui étaient jusque-là considérés comme identiques dans notre base de données.



Merci à Rémy Besson, Kim Décarie, Nawal Maftouh, Louis Pelletier, et Joachim Raginel pour les informations et photographies fournies.
Accéder à la version anglaise.
Notes:
- Fondé à l’initiative d’André Gaudreault, TECHNÈS est un partenariat international de recherche sur les techniques et technologies du cinéma qui rassemble 18 partenaires : trois groupes de recherche universitaires, soit le GRAFICS de l’Université de Montréal, le groupe Dispositifs de l’Université de Lausanne et l’équipe Arts pratiques et poétiques de l’Université Rennes 2; six archives et cinémathèques, soit la Cinémathèque québécoise, la Cinémathèque suisse, la Cinémathèque française, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, la Fédération internationale des archives du film et la George Eastman Museum; trois écoles de cinéma, soit l’Institut national de l’image et du son, l’École cantonale d’art de Lausanne et l’École nationale supérieure des métiers de l’image et du son; et six diffuseurs/producteurs, soit l’Office national du film du Canada, Canal Savoir, les Presses de l’Université de Montréal, Amsterdam University Press, Érudit et Idéeclic. ↩